Alertes Environnementales

Le 1 avril 2019

Le mercure organique, enjeu de santé publique 

Extraits : «...  Le mercure est un bon exemple des difficultés à évaluer et à gérer un risque en santé environnementale. La présence de ce métal dans la chaine alimentaire comporte un risque potentiel démontré, à mettre en balance avec les bénéfices de la consommation de certains aliments comme le poisson. 

L’histoire du mercure et de ses effets sur la santé, souvent émaillée d’événements dramatiques, illustre depuis des décennies les progrès réalisés en santé environnementale.

1.1. La baie de Minamata

Un véritable suspense policier s’est déroulé dans les années 50 au Japon. L’histoire commence par l’apparition de pathologies neurologiques sévères au sein de familles de pêcheurs habitant le long de cette baie. Ce qu’on appellerait aujourd’hui des « clusters » de malades, c’est-à-dire des sujets malades bien regroupés dans la même région.

Les adultes présentaient des paralysies sévères, des troubles neuropsychiques ; quant aux enfants, ils étaient nombreux à présenter des malformations sévères avec des troubles neurologiques et psychiques très handicapants, quand ils n’étaient pas morts nés. Ces faits se sont déroulés sur plusieurs années et malgré de nombreuses expertises le mystère restait total ! Le bilan final fera état d’environ 600 morts et 3 000 malades ! À cette époque l’épidémiologie était encore une science balbutiante et les analyses toxicologiques des liquides biologiques (sang, urine…) encore assez rudimentaires. Il faut imaginer cette région du Japon affectée pendant plusieurs années d’une mystérieuse maladie dont personne ne comprend la cause.

Quelques indices vont peu à peu être identifiés, deux en particulier : ces familles se nourrissent essentiellement des produits de la pêche et la très grosse entreprise chimique Chisso, qui utilise le mercure comme catalyseur de certaines synthèses chimiques, déverse régulièrement ses effluents dans les eaux de cette baie du Pacifique.

Ce furent des toxicologues venus d’Écosse nous dit l’histoire, qui vont découvrir le « pot aux roses ». Comment ? Ils ont d’abord repris tous les dossiers médicaux des malades pour en chercher les points communs. Leur conclusion : les pathologies décrites ressemblaient bien à ce que l’on connaissait alors de la toxicité du mercure organique. Or l’usine Chisso déversait pour l’essentiel du mercure métal dans le Pacifique ! Comme nous l’avons vu, seules les vapeurs du mercure métal sont toxiques pour l’homme et ingéré il ne passe pas la barrière digestive. Le mystère persista encore quelque temps.

Obstinés, les experts finirent par faire le lien entre l’usine Chisso qu’ils soupçonnaient de jouer un rôle dans cette « épidémie » et les pathologies présentées par les familles de pêcheurs. 

Une étape capitale dans la compréhension de l’entrée du mercure organique dans la chaine alimentaire fut alors découverte : Hg, le mercure métal présent dans l’eau, « méthylé » par les micro-organismes marins devient CH3Hg ! Un radical méthyle CH3 est ajouté au mercure métal déversé par l’usine. C’est le phénomène dit de « biométhylation » du mercure qui fut alors mis en évidence. Le mercure métal devient du mercure organique qui une fois ingéré est vite et bien absorbé par l’organisme !

Un autre phénomène bien connu maintenant en santé environnementale fut aussi mis en évidence, la bioaccumulation. Le mercure est un toxique « cumulatif » qui s’accumule dans les organismes au fil du temps : plus le poisson ou le mammifère est « vieux » plus son contenu en mercure organique est important. Un autre phénomène fut décrit, la bioamplification : les gros poissons mangent les petits poissons, le mercure organique s’accumule tout au long de la chaine alimentaire jusqu’à l’homme : étant en bout de chaine l’homme reçoit alors la dose maximale de mercure organique quand il consomme par exemple de l’espadon, du thon et du flétan. Ou d’autres gros poissons.

Ce ne fut qu’en 2010, soit un demi-siècle plus tard, que les survivants de cette affaire dramatique, souvent porteurs de handicaps majeurs, furent enfin indemnisés par l’entreprise Chisso et par l’État Japonais. Un mémorial représentant entre autres de nombreuses billes de mercure métal fut construit à Minamata.

1.2. Les oiseaux pêcheurs

Intrigués par l’histoire de la baie de Minamata, quelques scientifiques se posèrent la question suivante : est-ce un accident industriel isolé ? Ou les mers et les océans sont-ils déjà pollués par du mercure du fait de la révolution industrielle apparue à la fin du 19e siècle ? En préalable, précisons que le mercure présent dans l’organisme des mammifères est en partie éliminé par les « phanères », c’est-à-dire cheveux, poils et ongles chez l’homme, et plumes chez les oiseaux. Comme il est habituel de procéder en science depuis Claude Bernard, ces scientifiques posèrent une hypothèse : les mers et océans ne sont pas contaminés, il s’agissait à Minamata d’un accident industriel isolé. Mais comment le prouver ? Ils ont eu alors une idée que l’on peut qualifier de géniale : ils analysèrent les plumes d’oiseaux empaillés dans les muséums d’histoire naturelle, les oiseaux pêcheurs en particulier, comme le balbuzard pêcheur et le grèbe huppé. L’analyse des plumes de ces oiseaux permit ainsi de remonter jusqu’à la moitié du 19e siècle. Très mauvaise nouvelle : la pollution mercurielle des mers et des océans n’a jamais cessé de croitre depuis le début de l’ère industrielle. Une étude récente a confirmé ces résultats: des concentrations moyennes de quelques µg/g sont mesurées dans des plumes d’oiseaux marins, et si la progression se poursuit, elles atteindront dans quelques décennies le seuil de dangerosité estimé à environ 20 µg/g...

1.3. Une famine en Irak

Une famine terrible apparut dans les campagnes Irakiennes dans les années 70. Pour venir en aide aux populations, de très grandes quantités de céréales furent alors distribuées en sacs, par l’État et aussi par des Associations (qu’on n’appelait pas encore ONG). Assez rapidement divers troubles neurologiques apparurent chez ces fermiers et leur famille. On se rappelle que le méthyl-mercure était alors utilisé comme fongicide sur les céréales. Effectivement les céréales avaient été traitées par du méthyl-mercure mais pour les utiliser en tant que semences et non pas pour les consommer. Or sur les sacs, les inscriptions figuraient en anglais, langue dont ces populations n’avaient aucune connaissance ! C’est donc bien à la suite de la consommation de ces céréales traitées que ces intoxications apparurent. Près de 20 ans après Minamata, le lien fut assez vite établi entre le méthyl-mercure et les pathologies présentées par ces populations. Le bilan final fut dramatique, avec près de 650 décès et 6 500 malades.

Ce drame permit tout de même de progresser. Les relations dose-effet du mercure ont pu être mieux étudiées et depuis l’analyse toxicologique des cheveux est devenue un standard dans l’étude des intoxications chroniques par métaux lourds...

2. Le mercure et les orpailleurs

C’est un « remake » de la baie de Minamata et cela se passe dans le plus grand département français, la Guyane. Les chercheurs d’or clandestins ou « orpailleurs », utilisent largement le mercure métal pour amalgamer les pépites d’or éventuellement présentes dans l’eau des rivières. Ils chauffent ensuite l’amalgame pour récupérer l’or et chaque année quelques décès surviennent à la suite de l’inhalation de vapeurs de mercure.

Mais surtout, la catastrophe liée à ces pratiques d’orpaillage réside dans le fait que tous les fleuves et rivières de cette grande zone amérindienne sont massivement pollués par du mercure métal. Toutes les populations de cette zone qui couvre la Guyane, une partie du Brésil et du Surinam, sont exposées au méthylmercure, le mercure métal des orpailleurs étant transformé en méthyl-mercure par les micro-organismes aquatiques. Santé Publique France, l’agence sanitaire en charge du suivi des populations, a depuis longtemps mis en place dans ce département des mesures de suivi de la population et communique régulièrement, avec l’ANSES, sur les risques d’une consommation excessive de poisson.

3. Le mercure et la gestion de risques

Le mercure est un excellent exemple de la difficulté à gérer un risque en santé environnementale. La gestion de risques succède à l’évaluation de risques ...

Quelles recommandations pour la consommation de poissons ?

La difficulté est accrue par le fait que les poissons peuvent être contaminés par de nombreux autres polluants que le mercure, PCB et dioxines entre autres. La gestion de risque va en permanence chercher un équilibre entre – il faut manger du poisson – et – attention aux toxiques contenus dans le poisson. On connait la richesse du poisson en certains nutriments précieux pour la santé comme les Oméga 3 des poissons gras. On connait aussi maintenant les principaux contaminants du poisson et leurs risques pour la santé (PCB, dioxines, métaux lourds dont le mercure). Les recommandations sont alors « protectrices » sans pouvoir en prouver formellement la valeur. L’ANSES limite ainsi la consommation de poisson chez le jeune enfant et la femme enceinte.

L’utilisation mal maitrisée depuis des siècles d’un grand nombre de métaux lourds comme le mercure, mais aussi le plomb, l’arsenic ou le cadmium, ont conduit à une pollution massive et durable de la planète. Ces métaux ont malheureusement tous des effets néfastes démontrés sur la santé de l’homme.

Le mercure représente un véritable enjeu de santé publique, en population générale, sous sa forme organique, le méthyl-mercure en particulier. Comme nous l’avons vu, il s’introduit dans la chaine alimentaire lors de la consommation de produits de la mer, poissons en particulier. Retenons aussi qu’il faut consommer du poisson, mais pas trop et pas tous les jours. La gestion de risques est un exercice difficile quand comme dans ce cas il faut trouver un équilibre entre ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Le mercure métal n’est pas en reste même si son ingestion ne comporte aucun risque. La mise en évidence du phénomène de biométhylation en milieu marin a bien montré que la pollution environnementale en mercure métal est responsable de l’incorporation de mercure organique dans la chaine alimentaire.

Enfin, une convention internationale sur le mercure a été mise en œuvre récemment par le programme des Nations Unies pour l’Environnement, la convention de Minamata. Adoptée en 2013 au Japon, elle est entrée en vigueur le 16 août 2017. Parmi ses principales dispositions, la Convention de Minamata prévoit notamment l’interdiction des nouvelles mines de mercure et l’abandon progressif des mines existantes, la suppression et l’élimination progressive de l’utilisation du mercure dans un certain nombre de produits et procédés, la mise en place de mesures visant à contrôler les émissions de mercure dans l’atmosphère et ses rejets dans l’eau et le sol, ainsi que le contrôle du secteur informel de l’extraction minière artisanale et à petite échelle de l’or. La Convention traite également de la question du stockage provisoire du mercure ainsi que de son élimination une fois devenu déchet, des sites contaminés ainsi que des aspects sanitaires.

Une vidéo très intéressante met en évidence la pollution mondiale au mercure et met cette convention en perspectives Cliquez ici » ...»- In: Encyclopédie Environnement, le 6 mars 2019.  Cliquez ici » 

 

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