Diffusion Sélective de l'Information
Du 1 au 10 Février 2022


 

L'entrepreneuriat vert : mécanismes de mise en œuvre et motivations en Tunisie (cas d'un pays émergent)


«... 1. Développement durable et éco-entreprenariat
Concepts en émergence
On a assisté ces dernières années à l’émergence des thèmes de l’éco-entrepreneuriat, l’entrepreneuriat vert, la responsabilité sociale de l’entreprise et le développement durable qui renvoient tous à la même idée : l’entrepreneur doit être conscient de son rôle social et environnemental.
La Commission Mondiale pour l’environnement et le développement (1987) pose les bases du concept du développement durable : c’est « le développement qui satisfait les besoins de succès de la génération présente sans compromettre les attentes des générations futures de satisfaire leurs propres besoins ».
Le rapport Brundtland et celui de la conférence de Rio s’accordent sur le fait que le développement durable doit satisfaire 3 exigences : le développement économique, la viabilité environnementale et l’équité sociale. La durabilité économique s’exprime en termes d’équilibre budgétaire et vise à optimiser la croissance et à éviter l’endettement excessif. La durabilité environnementale met l’accent sur la lutte contre la pollution, la préservation des ressources non renouvelables, les économies d’énergie, et la transmission du capital naturel aux générations futures. La dimension sociale consiste à lutter contre la pauvreté et l’exclusion et à respecter les droits du travailleur.
L’éco-entrepreneuriat a émergé comme domaine de recherche à la fin des années 1980. Ainsi, Schaper (2002) fait référence à un article pionnier de Quinn (1971) paru dans la Harvard Business Review, selon lequel : “The ecology movement could provide profitable new markets for business expansion rather than simply being a drain on economic activity”.
Dans ce sens, Elkington & Burke (1989) défendent l’idée que l’environnement peut être une source d’affaires lucratives. Des auteurs comme Bennett (1991) ou Blue (1990) commencent à utiliser les termes d’entrepreneur environnemental, d’entrepreneur vert ou d’éco-entrepreneur, et marquent donc l’émergence de courants de recherche plus structurés.
Plusieurs auteurs ont développé des typologies d’éco-entrepreneurs tels que Schaltegger (2002), Linnanen (2002), Schick & al. (2002).
De leur part, Taylor & Walley (2004) présentent une typologie des éco-entrepreneurs basée à la fois sur l’orientation personnelle de l’entrepreneur et sur l’intensité des influences structurelles externes. Le croisement des deux variables aboutit à 4 types d’éco-entrepreneurs (figure 1) :



Détaillons les quatre types d’éco-entrepreneurs :
Type 1 (Innovateur opportuniste) : il poursuit une démarche purement économique dans un cadre structurel contraignant. Il est influencé par les pressions externes (comme les lois et les lobbies verts). Il exploite des opportunités stratégiques pour développer une affaire « verte ».
Type 2 (Champion visionnaire) : il évolue dans un milieu pro-écologique et porte des convictions personnelles à dominante développement durable. Il vise un futur durable qui suppose de profonds changements dans la société ; une passerelle entre deux cultures a priori opposées, celle des affaires et celle de l’écologie.
Type 3 (Anti-conformiste éthique) : c’est un écologiste convaincu qui désire propager ses valeurs. Il évolue dans un milieu à faible pression environnementale. Son passage à l’acte est plutôt déclenché par des amis, de la famille, des expériences personnelles (beaucoup plus que le désir de changer le monde).
Type 4 (Eco-entrepreneur par accident) : il crée pour des raisons plutôt économiques dans un espace ignorant l’écologie. Il est surtout motivé par la rentabilité financière.
Taylor & Walley (2004) insistent sur la nature dynamique de leur typologie : le type d’éco-entrepreneur n’est pas figé dans le temps. Au contraire, il peut (et parfois doit) évoluer au fil des événements. Il est admis que s’engager dans le domaine de l’éco-entrepreneuriat exige de l’éco-entrepreneur l’adoption des innovations
écologiques (innovations environnementales, innovations vertes).

2. Innovations écologiques : Définition et typologie
L’Ademe (2006) -Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie- définit les innovations écologiques comme «l’ensemble des innovations (techniques, conceptuelles, méthodologiques) qui contribuent directement ou indirectement à une amélioration de l’état de l’environnement. L’environnement étant pris au sens large, incluant les ressources naturelles (air, eau, sols, milieux), la biodiversité, le changement climatique, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, le cadre de vie et le développement durable de la société ». L’agence alerte que la société ne peut continuer sur les modes de consommation et de production actuels sans endommager sérieusement l’environnement.
D’autre part, il est important de distinguer deux types d’innovations écologiques en fonction du cadre d'intervention : les innovations "end of pipe" ou "en bout de tuyau" et les innovations dites "propres" ou "intégrées" (Gasmi & Grolleau, 2003).
                       
                         Tableau 1 :
Innovations "en bout de tuyau" vs innovations "Propres"
Distinctions  Définitions Principales limites Exemples


Innovations "end of pipe"


Technologies "curatives" qui interviennent en fin du processus de production afin de réduire les impacts environnementaux négatifs N'attaquent pas la source de la pollution Disperser ou diluer les émissions toxiques de manière à diminuer l'intensité de leurs impacts
Innovations "propres" Changements "préventifs" au sein du processus de production avec la recherche d'un processus de production moins polluant, dès la source Adoption nécessitant généralement un engagement relativement important en termes de ressources humaines et financières, ainsi que des changements profonds des systèmes de production Ecoproduits réduisant les impacts environnementaux : produits fabriqués
et commercialisés de telle sorte qu’ils ne soient pas nocifs pour l’environnement ni pour les utilisateurs et qui sont recyclables facilement


3. Motivations des innovations écologiques dans la théorie
Malgré la jeunesse du champ d’application et le peu de travaux sur le sujet, quelques recherches permettent d’identifier une série de facteurs sociétaux influençant l’adoption de ce type d’innovation (Hart, 1997 ; Laforest & al, 2005).
Hall & Vrenderburg (2003), mettent en avant les motivations d’ordres sociétal et moral. Selon Bansal & Roth (2000), les actions vertes sont plutôt des actions idéalistes que rationnelles.
Un autre groupe de motivations peut être souligné: les pressions environnementales institutionnelles. De récentes études se focalisent sur le rôle de la régulation environnementale sur l’adoption d’éco-innovations de produit et de procédé. La loi est perçue dans ce cas comme un moyen efficace permettant d’obliger les firmes à respecter leur environnement (Bernauer & al, 2006).
Pour d’autres auteurs, l’innovation permet de répondre aux attentes des clients en améliorant la performance environnementale des produits et en rendant les procédés de fabrication moins polluants (Abrassart & Aggeri, 2007). En effet, le produit vert « a le potentiel de contribuer à la croissance tout en améliorant la qualité de l’environnement et en protégeant les ressources naturelles » (Faucheux & al., 2007). Ce qui permet de satisfaire les exigences écologiques d’une bonne
catégorie de clients.
Pour d’autres à l’image de Rennings & Zwick (2001), “environmental innovations may be developed with or without the explicit aim of reducing environmental harm. They also may be motivated by the usual business goals such as reducing costs or enhancing product quality”. La réduction des coûts mais aussi l’augmentation de la qualité des produits peuvent donc être des leviers efficaces à l’eco-innovation.

4. Typologie des motivations de l’entrepreneuriat vert
Les travaux de Rennings & Zwick (2001), Taylor & Walley (2004), Bernauer & al (2006) et d’Abrassart &Aggeri (2007) appellent à une réflexion typologique quant aux motivations de l’entrepreneuriat vert. A partir de là, une synthèse de la littérature et des observations sur le terrain nous ont permis de construire huit propositions.
Proposition 1 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour se conformer aux pressions et aux lois de protection de l’environnement.
Proposition 2 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour bénéficier des avantages accordés par l’état.

Proposition 3 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour saisir les opportunités et faire du business (exemple : les gains économiques du recyclage).
Proposition 4 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour réaliser des économies de charges (exemple : les gains économiques de l’énergie solaire).

Proposition 5 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour répondre aux besoins des clients sensibles à l’environnement. (Exemple : produits respectant la couche d’ozone).
Proposition 6 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour répondre aux besoins des clients économes. (Exemple : appareils à faible consommation d’énergie ou meilleure isolation de l’habitat).

Proposition 7: les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour protéger l’environnement (éthique).
Proposition 8 : les entrepreneurs mettent en place des innovations écologiques pour sortir du chômage.
Notre enquête qualitative nous a permis par la suite de vérifier ces propositions.

5- Promotion des innovations écologiques en Tunisie: Responsabilité de l'Etat
En Tunisie, l’entrepreneuriat représente une priorité stratégique. L’Etat a prévu une batterie de mesures pour promouvoir la création. Nous citons notamment:
- la mise en place d’organismes de soutien et de formation aux créateurs comme les centres d’affaires, les pépinières, les espaces initiatives dans les bureaux d’emploi, le Guichet unique au sein de l’agence de promotion de l’industrie, etc.
- la création de deux banques spécialisées en financement des nouvelles entreprises à savoir la BTS (Banque Tunisienne de Solidarité) et la BFPME (Banque de Financement PME).
- la mise en place de programmes de financement étatique (participation au capital ou lignes de crédit à faible taux d’intérêt).
D’autre part, et en Tunisie comme ailleurs, l’industrie contribue largement à l’épuisement des ressources et à la pollution de l’environnement (eau, sol, air), Il est donc urgent de pousser ce secteur à mobiliser des innovations qui peuvent participer à la réduction de son impact environnemental et à l’introduction des produits verts. L’Etat a donc prévu des programmes de soutien et des lois pour favoriser l’entrepreneuriat éco-innovant. La Tunisie propose notamment les programmes suivants:
- Pronagdes (Programme National de Gestion des Déchets Solides) comportant la mise au point d’un cadastre pour les déchets industriels et un programme de surveillance lancé en 1993.
- Pour la qualité de l’air, une loi de 1994 fixe des normes qui sont surveillées par l’ANPE (Agence Nationale de Protection de l’Environnement) dans les grands centres urbains.
- Un programme de traitement des eaux usées est organisé et géré par l’ONAS (Office National d’Assainissement).
- La création en 1993 de la Commission Nationale de Développement Durable (CNDD), en tant qu'instance capable de coordonner les efforts nationaux en la matière.
- La création en 1992 d’un fonds de dépollution (FODEP) ayant pour objectifs : d’aider à la création d’entreprises de collecte et de recyclage des déchets, d’encourager la protection de l’environnement contre la pollution industrielle et d’inciter à l’utilisation des technologies propres et non polluantes. Le FODEP accorde une subvention plafonnée à 20 % du coût de l’investissement écologique approuvé par l’ANPE pour les projets de dépollution. La subvention sert principalement à financer des installations visant à réduire ou à éliminer la pollution des entreprises ; des projets de collecte, de traitement et de recyclage des déchets ; et des projets de technologies propres visant à réduire la pollution à la source.
- Outre les subventions, l’entreprise « verte » peut bénéficier de plusieurs avantages fiscaux et une exonération des droits de douane pour les équipements importés n’ayant pas de similaires localement.
- Le projet vert peut également contracter un crédit bancaire (FOCRED) remboursable sur une durée de 10 ans dont le taux d’intérêt est inférieur au TMM pouvant couvrir 50 % de l'investissement de dépollution.

6. Typologie des motivations de l’entrepreneuriat vert en Tunisie
D'après une étude interviewant des entrepreneurs éco-innovants tunisens en vue de chercher à identifier leurs motivations en matière d’adoption des innovations écologiques pour la création de leurs entreprises, protéger l’environnement et bénéficier d’une bonne image de marque restent les motivations les moins mentionnées. Mis à part un entrepreneur, les entrepreneurs interviewés ne placent pas la protection de la nature comme leur principale priorité stratégique. Ils sont surtout attirés par les économies de charges, les subventions étatiques et les opportunités d’affaires qu’ouvre ce créneau. Ils sont parfois contraints par la législation.
Notamment, la motivation essentielle des entrepreneurs éco-innovants ainsi que des étudiants en classe terminale, en tant que futurs entrepreneurs potentiels en Tunisie, est de nature économique. Ce sont soit des opportunistes innovateurs, soit des éco-entrepreneurs par accident en se référant au tableau de Taylor & Walley (2004). La motivation économique explique donc l’essentiel de l’entrepreneuriat vert. Elle présente deux ramifications : saisir de nouvelles opportunités d’affaires (faire du business) ; réduire les coûts de production et les gaspillages d’énergie et de matières premières.
La sensibilité croissante de l’opinion publique à l’écologie vient en deuxième position pour confirmer la prise de conscience planétaire des problématiques de l’écologie. Elle pousse les entrepreneurs à proposer des produits plus respectueux (dans leur conception et utilisation) de la nature et par la même occasion moins nocifs pour la santé de l’utilisateur ...»-Source: https://www.cairn.info/revue-vie-et-sciences-de-l-entreprise-2012-2-page-59.htm  Cliquez ici
Par Allala BEN HADJ YOUSSEF, Enseignant chercheur, Institut supérieur d’administration des affaires (Sfax) & Mariem DZIRI, Doctorante, Faculté de Sciences économiques et de gestion (Sfax).

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Elaboré par: Lobna ZOUAOUI, Ingénieur Data, Responsable  Veille Stratégique et Technologique
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